A propos du Pink Eiga

Le terme est composé du mot anglais pink, signifiant rose, et du mot japonais eiga, signifiant cinéma. Le genre pinku eiga regroupe des films à teneur plus ou moins érotique, sans que l’érotisme soit nécessairement l’objet central du film : les premiers pinku eiga furent souvent des films jugés obscènes pour quelques scènes anecdotiques de nus, et la censure, qui interdisait notamment de montrer pilosités ou des organes génitaux, contraignait les réalisateurs à entretenir l’intérêt du spectateur au moyen de procédés cinématographiques conventionnels.

Le scénario reste relativement important, le sexe n’est pas montré crûment, les diverses formes de perversions et surtout de sadisme à l’égard des femmes constituent souvent la principale ressource érotique, et les films pink eiga sont généralement tournés avec de très petit budget mais sur pelliculle 35 mm. Koji Wakamatsu tournera ainsi en 1963, ses trois premiers films pour le cinéma, Doux piège (Amai Wana), Les Femmes sauvages (Hageshii Onnatachi) et Stratégie érotique (Oiroke Sakusen) qui l’imposent comme l’un des maîtres du genre.

Les Jeux olympiques de 1964 furent l’occasion, pour le gouvernement, de nettoyer les milieux interlopes dans l’objectif affiché de donner une image plus présentable du Japon ; les strip-teases et les films pornographiques furent interdits, ce qui contribua certainement à l’essor du pink eiga, et à pousser le genre vers les grands studios et une plus forte visibilité.

Ainsi en 1964, « Jour de rêve » est le premier pink eiga à gros budget et grand public sorti au Japon. Réalisé par le très respecté Tetsuji Takechi, réalisateur mais aussi metteur en scène de théâtre, critique et auteur, il embarrasse les autorités japonaises qui ne voulaient pas que ce film donne l’image d’un Japon décadent. Après la sortie de son film suivant « Neige noire« , Tetsuji Takechi est arrêté pour indécence. Soutenu par des personnalités d’horizons politiques divers (dont Yukiô Mishima, Nagisa Ôshima et Kôbô Abe), le réalisateur avança pour sa défense des raisons esthétiques et artistiques. A l’issue d’un procès hautement médiatisé et controversé, il est déclaré non coupable et acquitté en 1967. Tetsuji Takechi ouvrit ainsi la voie à plus de franchise dans les films pour adultes au Japon mais aussi à toute la vague rose du Pink-eiga qui s’engagea à sa suite.

Aux alentours de 1965, le pink eiga devint plus mordant vers la fin des années 60 et durant les années 70, en particulier à travers son prolongement dans les productions de la Nikkatsu appelées « Roman porno » et des films de Koji Wakamatsu.

En 1970, la Nikkatsu est en cessation de paiement. La production est arrêtée, les actifs liquidés et le personnel réduit au tiers. Il lui reste néanmoins son studio de Chôfû (ses créanciers lui en accordent encore la jouissance pour deux ans) et un réseau de cent salles (il était de mille avant la faillite). Il lui reste un personnel d’une loyauté indéfectible, malgré des salaires réduits de moitié, et qui croit encore à la renaissance du studio historique qui est sa fierté.

La Nikkatsu qui a deux ans pour se relever sait qu’elle ne pourra plus faire concurrence à l’empire Toei dans le créneau du film d’action. Il faut trouver autre chose : se sera le film érotique à petit budget tourné en deux semaines mais de qualité. Parce que l’honneur de ce studio historique est en jeu, les équipes de la Nikkatsu s’efforceront toujours de produire des films de qualité même sous le label « Roman porno ». Et c’est là que réside la grande différence avec les petites productions indépendantes. Les réalisateurs restés fidèles à la Nikkatsu moribonde acceptent de tourner des films érotiques pour des cachets dérisoires car « cela reste après tout du cinéma » et qu’il n’est pas question pour eux de se vendre à la télévision. Ils reprennent aussi courage quand on leur explique que la seule contrainte pour eux est de tourner une scène érotique toutes les dix minutes et que, pour le reste, ils ont carte blanche sur le fond comme sur la forme. Pour ces réalisateurs qui au cours des années soixante, avaient été sans cesse sous pression (ils tournaient huit à dix films par ans) à qui l’on imposait scénaristes et acteurs, le roman porno va leur offrir une marge de manœuvre et de liberté créatrice inédite : d’un jour à l’autre ils sont passé du statut de faiseur à celui d’auteur. Et ce sentiment de grande liberté a contribué pour beaucoup dans la qualité et l’inventivité du roman porno. Noboru Tanaka réalise ainsi « L’école de la sensualité » (1972), « Osen la maudite » (1973) et « La véritable histoire d’Abe Sada » (1975) Akira Kato, « Prisonnière du vice » (1975) et Kiriro Urayama « La chambre noire » (1983).

Puisqu’il lui était impossible de faire jouer des scènes de sexe a ses actrices prestigieuses, sauf les plus jeunes arrivées à la fin des années soixante, la Nikkatsu fut obligée de recruter des actrices dans le Pink Eiga qui voyait déjà d’un mauvais œil ce nouveau concurrent. Car bien qu’elle fut en faillite la Nikkatsu disposait dans son studio de Chôfû de ses décorateurs, ses maquilleurs, ses costumiers, ses grands directeurs de la photographie. Et pour les actrices venues du Pink Eiga qui tournaient à la sauvette, sans scénario, sans costume et même sans maquillage, victimes aussi parfois de violences sur les lieux de tournage, la Nikkatsu leur parut un vrai studio hollywoodien, respectueux de la personne humaine et du métier d’acteur.

Ainsi la Nikkatsu n’aura-t-elle aucun mal à recruter son nouveau personnel dans le Pink Eiga. Il ne lui restait plus qu’à trouver des idées de scénarios. La première viendra d’un réalisateur maison, Shôgorô Nishimura. C’est en regardant à la télévision une émission, qui fit grand bruit à l’époque, dans laquelle des ménagères de 25 à 35 ans dont les maris avaient des revenus modestes, avouaient s’être prostituées pour acheter des bijoux, fourrures et autres produits de luxe, qu’il eut l’idée de faire un film. Ces confessions dérangeantes -car elles reflétaient un phénomène de société contribua à populariser le terme de danchizuma (les femmes aux foyers qui vivent dans les HLM de banlieue) avec toutes les connotations sexuelles qu’il impliquait. C’est ainsi que le premier Roman porno de la Nikkatsu « Le jardin secret des ménagères perverses » (Shôgorô Nishimura, 1971) avait pour titre original « Danchizuma hirusagari no jojidont« . Parce qu’il brisait des tabous le film connu un succès considérable. Il fut suivi d’une trentaine d’épisodes qui permit à la Nikkatsu de se renflouer, de racheter ses studios à ses créanciers et de croire à nouveau en l’avenir avec le genre roman porno. La série « danchizuma » évolua avec le temps, s’enrichit de nouveaux thèmes : ces cités entières de femmes au foyer abandonnées par les hommes douze heures par jour, et donc transformées en immenses gynécées étaient propices aux fantasmes masculins les plus fous.

Le second sous-genre qui plut au public juste après le danchizuma fut celui des drames adultères grâce à la capacité des scénaristes à décrire une réalité sociale : celle du paradoxe d’une société de consommation qui procure le bien-être en même temps qu’elle produit l’ennui, du fait de maris toujours absents car trop dévoués à leur entreprise. Ce seront « Hong kong requiem » (Masaru Konuma, 1973), « L’épouse, l’amante et la secrétaire » (Katsuhiko Fuji, 1982), « Cinq secondes avant l’extase » (Yojiro Takita, 1986).

Les rituels sado-maso constituent bien évidemment un sous-genre classique dans lequel s’illustrera encore une fois Shogoro Nishimura avec « La femme aux seins percés » (1986).

Dans un premier temps le caractère inédit et provocateur du label Roman Porno va assurer son succès tout autant que les descentes de police dans les salles de la Nikkatsu pour interdire la projection de certains films dont les scènes d’amour sont jugées trop obscènes. Pourtant tous ces films ont obtenu un visa de censure. Ces incohérences juridiques qui font que la Nikkatsu finit toujours par gagner ses procès sont relayées par la presse progressiste. Après « Neige noire », quatre autres films pink eiga produits par la Nikkatsu durant la période roman porno des années soixante-dix, ont été l’objet d’accusations similaires : « Koi No Kariudo : Love Hunter » de Yamaguchi Seiichirô, « OL Nikki : Mesuneko no Nioi« de Fuji Katsuhiko, « Jokôsei Geisha » de Umezawa Kaoru, et « Ai No Nukumori » de Kondô Yukihiko. Ils ont été acquittés en Juillet 1980 par la Tokyo High District Court.

Un débat passionné sur la liberté d’expression se fait jour. C’est ainsi que la Nikkatsu élargit de plus en plus son public en s’attirant la sympathie des étudiants et des intellectuels qui voient dans le roman porno une nouvelle forme de contestation dans un contexte de désintérêt total des japonais pour la politique résignés à suivre la voie américaine de la société de consommation à outrance.

La prestigieuse Toei sait aussi décliner l’érotisme à partir du créneau du film d’action où elle est leader. Le studio détourne ses films de yakusas en y intégrant tout d’abord des héros adolescents pour attirer le jeune public. Ces héros deviennent bientôt des héroïnes dans une vague de films connus sous le label Pinky Violence qui cède autant aux penchants du film de gangsters avec une aura de féminisme où de farouches délinquantes s’opposent à la tyrannie masculine. La trilogie de Shunya Ito : « La femme scorpion » (1972), « Elle s’appelait Scorpion » (1972), « La tanière de la bête » (1973) ainsi que « Le couvent de la bête sacrée » (Noribumi Suzuki, 1973) en sont les meilleurs exemples Eiga prétexte à des élans de sadisme et d’érotisme,.

La popularité de Pink Eiga décline ensuite rapidement dans les années 80, lorsque le marché de la vidéo lui impose la concurrence des films purement érotiques ou pornographiques. « Kamu Onna » de Tatsumi Kumashiro tourné en juin 1988 est le dernier film du label Roman Porno. Lui succède Le label « Ropponica ». Les films sont réalisés avec moins d’argent encore (3 à 3,5 millions de yens) avec peu d’acteurs et des décors en extérieurs. Ces films moins chers sont produits par une filiale, « Excess films », qui devient indépendante après la faillite de la Nikkatsu. Sachi Hamano réalise ainsi près de 300 pink eiga.

Après avoir réalisé plus d’une vingtaine de films pour diverses sociétés, Wakamatsu décide, en 1965, de fonder sa propre compagnie de production, Wakamatsu Pro. La sélection de « Secrets derrière le mur » au festival de Berlin provoquait un incident diplomatique entre l’Allemagne et le Japon qui considérait que le film donnait une mauvaise image du pays. Le film est précurseur du sous genre érotique des danchizuma (les femmes aux foyers qui vivent dans les HLM de banlieue) initié par « Le jardin secret des ménagères perverses » (Shôgorô Nishimura, 1971). En 1966, « Quand l’embryon part braconner », est un magistral exemple de théâtre de la Cruauté. L’année suivante, il met en scène « Les anges violés », huis clos autour d’un meurtrier schizophrène tiré d’un fait divers survenu à Chicago, qui sera longtemps son film le plus connu en France et dans le monde. A partir de 1968, Wakamatsu devient un militant d’extrême gauche actif et réalise de véritables brûlots contre le pouvoir en place et la police. « Va va vierge pour la deuxième fois » (1969), « La saison de la terreur » (1969), « Running in madness, dying in love » (1969).

Les discours métaphoriques puissants, réels sujets des films, sont servis par une mise en scène d’une splendeur formelle de tous les instants. Les très faibles budgets et l’aspect guérilla des tournages –délais très courts, le plus souvent sur les lieux de vie du réalisateur : son appartement ou le toit de sa maison de production- se font totalement oublier derrière l’extrême inventivité du filmage. Narration éclatée, cadres au cordeau, lumières tranchées savamment travaillées, bandes son hallucinantes.

La première reconnaissance internationale de son oeuvre a lieu à Cannes en 1971 avec les projections des « Anges violés » et de « Sex Jack » à la Quinzaine des réalisateurs. Puis en 1972, il filme « L’extase des anges », véritable grenade dégoupillée antisystème, qui connaît du coup de graves démêlés avec les autorités nippones, ces dernières lui prêtant des intentions terroristes. En 1976, Nagisa Oshima lui demande d’assurer la production exécutive de « L’empire des sens » qui est montré à la quinzaine des réalisateurs à Cannes en 1976. Le film est saisi à la douane à Tokyo, dès son retour sur le sol japonais. Il sortira dans une version censurée avec des caches noirs. Le film sera attaqué par la censure lorsque sera publié, un peu plus tard, le scénario accompagné de quelques photos. Oshima sera finalement acquitté de l’accusation d’obscénité mais le film est toujours montré au Japon avec les organes génitaux floutés. Le pénis coupé de la fin est toutefois montré en totalité.

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